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Blog des Amis de LULINGU (RDCongo)
15 décembre 2018

Sur les traces des bienheureux martyrs d’Algérie…

Sur les traces des bienheureux martyrs d’Algérie…

Récit du Père Alain

Dans la foulée de la session des Waongozi à Lulingu de juillet 2018 sur les 19 martyrs d’Algérie, je me suis joint au pèlerinage organisé par Ictus Voyages pour participer à la béatification des 19 martyrs d’Algérie. Nous étions accompagnés par la présence chaleureuse et fraternelle de Mgr Georges Colomb, évêque de La Rochelle.

Quelques points forts de ce pèlerinage :

Tibhirine, lieu de paix et de sérénité

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Quelle paix et quelle sérénité règnent encore à Tibhirine ! Le monastère en est encore tout imprégné. Nous y avons été accueillis par un membre de la Communauté du Chemin Neuf. Cette communauté est présente au monastère depuis 2016.

Celui-ci attira notre attention sur les liens que les moines avaient tissés avec la population locale à travers le travail de la terre, l’école qu’ils avaient fondée pour assurer la scolarité des enfants des ouvriers agricoles travaillant au monastère et le dispensaire tenu par frère Luc, médecin. Cette ouverture du monastère fut encore élargie par le prieur, le frère Christian, dans son dialogue avec les musulmans.

Comme l’ont écrit le P. Thomas Georgeon et François Vayne dans leur livre « Tout simplement là », Tibhirine c’était une « présence silencieuse » qui est devenue « parole universelle ». Une présence qui se faisait accueil amical et fraternel, dans la certitude confiante que leurs voisins les accueillaient eux aussi. La rencontre avec l’autre se produisait dans la vie de tous les jours : c’était un dialogue de la vie, l’interculturalité et l’interreligiosité mises en pratique, à travers un échange de dons qui permettait à chacun d’affirmer sa propre identité.

Sur place, dans la chapelle du monastère, nous avons eu deux très beaux témoignages de membres de notre groupe qui vécurent un temps en Algérie. Tout d’abord celui de Jean-René qui dans le cadre de la coopération franco-algérienne fut enseignant chez les Frères Maristes à Alger. Il nous dit : « L’Algérie, j’y ai déposé mon cœur et je ne l’ai jamais repris. Chaque année, je viens revoir ceux que j’appelle non pas mes anciens élèves, mais mes enfants. »

Vint ensuite le témoignage de sœur Anne-Thérèse qui vit maintenant en France, mais qui était présente en Algérie pendant ce qu'on appelle la décennie noire, cette période de 1991 à 2002, au cours de laquelle l’Algérie entra dans une spirale de violence. Elle nous partagea ceci :

" Il y avait un réel climat de peur. Plus personne n’osait parler en rue. Jusqu’alors, tous les textes d'évangile qui parlaient de la peur, je les avais oubliés. Mais au moment où on a besoin des paroles d'évangile, elles sont là. (N'ayez pas peur, sois sans crainte petit troupeau...). Elle ajouta aussi ceci: la fragilité de l’Église d'Algérie a fait que les rapports hiérarchiques sont devenus simples et fraternels et qu'au sein de l’Église il n'y avait plus de divisions entre telle ou telle sensibilité (on ne pouvait pas se payer ce luxe) mais une Église de frères unis par amour du Christ. "

Une célébration eucharistique à la basilique Notre-Dame d’Alger

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Lors de la messe à la basilique Notre-Dame d’Alger, le père Raphaël Deillon, missionnaire d’Afrique, nous partagea dans son homélie un moment fort qu’il vécut lors de son ministère en Algérie. Écoutons-le :  

"Dans un contexte de très grande confusion et de peur provoquée par des assassinats aveugles, une réunion des responsables de congrégations religieuses présentes en Algérie s'est faite à Rome. C’était un dimanche de janvier 1995. Devant un parterre d’une quarantaine de supérieurs et supérieures religieux, les évêques d'Algérie durent s'expliquer sur « le banc des accusés »...  

J'avais accompagné les évêques jusqu'à Rome pour prendre quelque temps de repos après tant d'émotions et de fatigue puisque nous venions nous-mêmes de nous faire attaquer à Ghardaïa et que nous avions échappé à une mort certaine ... J’aime à rappeler le témoignage de la façon dont nos évêques ont pris la défense de l'Église en Algérie et de nos amis algériens car ce témoignage m'a fait honneur et chaud au cœur. 

Je vous situe d'abord la scène : nous étions dans cette salle de la maison généralice des Pères Blancs ; une bonne cinquantaine de personnes en tout. L'ambiance était lourde et les questions chargées de beaucoup d'animosité, d'incompréhension et d'amertume après les douloureuses pertes de nos frères et sœurs. Le Supérieur général des Pères Blancs s'est levé et avec un ton solennel a demandé aux évêques de bien vouloir exprimer leur "Credo". 

Les évêques se sont concertés et ont désigné amicalement le plus jeune d'entre eux : Mgr Claverie. En regardant ses auditeurs dans les yeux, voici ce qu'il a dit :   

"L'Église n'est pas une organisation internationale, ni une multinationale qui s'implante quelque part et qui retire son personnel quand ça ne va plus. C'est le lieu d'une Alliance passée entre le Dieu de Jésus-Christ et une humanité particulière. Les Chrétiens qui sont là, sont présents pour entrer dans cette Alliance. Quoi qu'ils fassent, ils sont là pour cette Alliance d'Amour avec cette humanité particulière. En entrant dans cette Alliance, chaque personne sait qu'elle devra y rester fidèle pour le meilleur et pour le pire. Quand on nous dit: "L'Algérie ne veut pas de vous !", ce n'est pas vrai ! Il y a, certes, des Algériens qui ne veulent pas de nous. Mais tous les autres, les 4000 qui pleuraient à Tizi-Ouzou leurs quatre Pères Blancs assassinés, les amis qui pleuraient à l'aéroport d'Oran le départ des Sœurs... Et tous les boiteux, les bossus, les aveugles, venus voir les Pères à Ghardaïa après qu'ils aient été attaqués ! Jésus s'est placé sur des lieux de fracture, là où c'était cassé, où il y avait une tension et il en est mort ! Si nous, Chrétiens, ne sommes pas présents sur ces lieux de fracture, eh ! bien, on n'est plus chrétiens. Fracture entre le Nord et le Sud, fracture entre les riches et les pauvres... Ce ne sont pas uniquement des vérités à chanter dans la liturgie, il faut les vivre ! 

L'Algérie aujourd'hui est brisée en deux. Pour nos 8 religieux tués (Il y en aura 11 de plus un an après et Mgr Claverie sera le 19e chrétien assassiné avec son chauffeur le 1er août 1996), il y a des dizaines de milliers de pères de famille, de jeunes, garçons et filles algériens qui sont morts, et nous, nous allons partir et rompre cette Alliance ?! On n'a plus rien à donner, mais il y a encore nos vies !"  

Le Supérieur des Pères Blancs, s'est levé, a fait une sorte de révérence qui voulait dire: cette fois je comprends et je  sympathise. La salle tout entière, restée muette pendant le "Credo" de Pierre Claverie, a senti passer un souffle d'amitié et de solidarité fraternelle qui a gagné tous les cœurs. L'ambiance tout à coup s'est détendue. On comprenait. On était d'accord, on applaudissait. 

Et moi, j'étais fier d'appartenir à cette Église qui acceptait de continuer la Mission qu'elle avait reçue de Dieu et de la continuer coûte que coûte. 

Et j'étais fier de nos évêques !  

Plus tard, ajouta le Père Raphaël, Mgr Claverie déclarera dans une interview : "Notre départ comme Église ne résoudrait aucun problème. Au contraire, il signifierait que nous acceptons le fait qu'il est impossible de s'entendre entre croyants de différentes confessions alors qu’il y a de magnifiques témoignages qui prouvent que c’est possible".

Veillée spirituelle à la cathédrale Sainte-Marie à Oran

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La veille de la béatification, le 7 décembre nous avons participé à une veillée spirituelle réunissant des chrétiens et des musulmans. Peu avant le début de cette veillée j’ai eu l’honneur et la joie de rencontrer le frère et la maman de Mohamed Bouchikhi, ce jeune algérien qui fut tué par le souffle d’une bombe en même temps que l’évêque d’Oran dont il avait voulu rester le chauffeur malgré les risques qu’il encourait. Un moment intense rempli d’émotions !

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La tombe de Pierre Claverie

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Rencontre avec la maman de Mohamed 

Une Église portée par des jeunes africains subsahariens

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Lors de cette veillée, un beau témoignage nous fut donné par Yvan et Brice, deux jeunes étudiants Camerounais sur l’Église d’Algérie. Ils sont en train de rédiger un livre intitulé : « L’Église d’Algérie, des jeunes s’expriment » pour répondre à leurs familles qui leur demandent : est-ce qu’il y a une Église en Algérie ? Quel est le vécu de cette Église ? 

Voici leur témoignage : 

«  En parlant de cette Église et en écrivant ce livre, nous voulons renvoyer l’image d’une Église accueillante de par la proximité de son clergé, nous voulons renvoyer l’image d’une Église qui est au chevet de tous, migrants comme étudiants, nous voulons renvoyer l’image d’une Église qui, bien que petite, est très présente et vivante où nous vivons des moments très fort comme des récollections, les journées algériennes de la jeunesse et bien d’autres encore. Il est aussi à signaler que ces moments forts que nous vivons marquent plus d’un et permettent de prendre des résolutions et de voir la vie différemment. De plus, nous voulons renvoyer l’image d’une Église exceptionnelle de par sa diversité et de par la valeur qu’elle prône : le vivre ensemble entre chrétiens et musulmans, l’amitié et l’amour. 

Cependant cette béatification de Mgr Pierre Claverie et de ses 18 autres compagnons tombe de manière providentielle car elle nous interpelle, nous en tant que jeunes étudiants subsahariens. Si nous partons tous de nos pays, de notre continent sans penser à revenir un jour pour le construire qui le fera à notre place ? Si nous partons tous et ne revenons pas qui sera plus apte que nous à se connecter aux réalités du terrain pour apporter les solutions qu’il faut ? Ainsi, c’est un fort beau message de fidélité que nous renvoient les 19 martyrs qui ont décidé de rester auprès de leurs amis malgré les différents problèmes et souffrances. 

Cette béatification, pour nous en tant que jeunes, nous renvoie un message aussi fort ; celui de la place incontestable de l’autre. A cet effet Mgr Pierre Claverie disait : « Je suis croyant, je crois qu’il y a un Dieu mais je n’ai pas la prétention de posséder ce Dieu-là, ni par le Jésus qui me le révèle. On ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres. »

La célébration de la béatification des 19 martyrs d’Algérie

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Au matin du 8 décembre 2018, jour la béatification, Mgr Colomb a présidé la messe de l’Immaculée Conception en la cathédrale Sainte-Marie d’Oran. Après la messe, nous avons été conviés à un repas servi par des jeunes du diocèse d’Oran et qui nous a permis d’échanger encore avec eux. Ensuite nous avons pu suivre la célébration dans la cathédrale à partir de l’écran géant qui avait été installé par KTO.

La célébration de la béatification a admirablement mis en lumière l’amitié que ces 19 témoins de la foi ont voulu vivre avec leurs amis Algériens. S’ils sont béatifiés c’est-à-dire proclamés bienheureux par l’Église ce n’est pas parce qu’ils ont été assassinés, mais d’abord parce qu’ils ont choisi, aux heures du danger, de rester en toute liberté et conscience, malgré les risques, "auprès de l’ami malade, en lui serrant la main, en lui épongeant le front", comme l’écrivit Pierre Claverie après la mort des moines.

Comme le souligne si bien le père Pérennès, c’est le témoignage d’amour pour le Christ, pour l’Église et pour tout le peuple algérien qu’ils ont donné que l’Église veut reconnaître et célébrer en les donnant en exemple à l’Église universelle où tous ceux qui sont en chemin ont besoin de figures qui leur montrent la route.


 

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